Le Blog d'un retraité

18 août 2010

Des millions de tonnes d’obus au fond des mers, étonnant, non?

Classé dans : Informations générales, Lectures, Personnel — admin @ 17 h 35 min

Une série d’articles dans la presse au mois de Juillet, j’ignore pourquoi, ont déterré cette information. À la suite des deux dernières guerres mondiales, les différentes armées en cause se sont délestées volontairement ou non de millions de tonnes d’obus et mines au fond des océans, et elles y sont encore. Et pas seulement en mer: on estime qu’en France 8200 tonnes de bombes ont été immergées en rivière, dans des lacs, et dans des gouffres naturels, sans compter bien sûr celles qui traînent encore dans le sol. J’avais envie d’approfondir un peu cette histoire, pas par ignorance du phénomène, (né en 1946 à Brest, nos enseignants nous mettaient en garde contre les jeux avec des balles ou des obus trouvés dans les jardins ou les souterrains sous Brest) mais par méconnaissance de l’ampleur que cela a encore dans le monde actuel.

Mines échouées sur une plage

Mines échouées sur une plage

Comment en est-on arrivé là ?

Pendant les conflits eux mêmes d’abord.

Les États Unis ont approvisionné les alliés en munitions, des convois traversaient l’Atlantique Nord chargés de toutes sortes de bombes, d’obus, de mines. Certains de ces cargos ont été coulés (par exemple le HMS Capel, le paquebot Lusitania) chargés de bombes toutes neuves. Les sous marins allemands faisaient la chasse à ces convois, et en dépit de la présence d’une escorte de navires militaires qui eux mêmes chassaient les sous marins à coups de grenadages, beaucoup de ces navires ont été coulés avec leur chargement. Et leur équipage, souvent.

Le Destroyer allemand Blücher coule en Mer du Nord, chargéde munitions et de bombes.

Le croiseur-cuirassé allemand Blücher coule en Mer du Nord, chargé de munitions et de bombes, durant la bataille de Dogger Bank

Les bombardiers alliés qui partaient faire leur travail sur la France ou l’Allemagne, s’ils ne pouvaient larguer leur chargement sur le territoire ennemi (brouillard, DCA trop active), s’en délestaient au retour systématiquement sur la Manche avant d’atterrir pour prévenir le risque d’explosion à l’atterrissage (il semble même probable que le jazzman Glenn Miller qui survolait la Manche à bord d’un petit avion a été victime de la chute brusque de 100 000 projectiles délestés par 198 bombardiers le 15 Décembre 1944 ; c’est ce qui s’appelle manquer de chance…). La Méditerranée a aussi servi de zone de délestage pendant le conflit en Yougoslavie dans les années 1990.

Pendant les quelques combats navals en Atlantique Nord (Bataille du Jutland par exemple) les cuirassés se lançaient des obus dont beaucoup n’explosaient pas ou tombaient à l’eau sans exploser.

Enfin, les adversaires protégeaient leurs escadres et ports par des champs de mine (bombes semi-flottantes explosant au choc d’un autre objet flottant), dont certaines soit ont coulé par erreur ou n’ont jamais été retrouvées.

Après les conflits ensuite.

Stocks de paniers de munitions de l'armée impériale Russe, 1ère guerre mondiale, en attente de traitement.

Stocks de paniers de munitions de l'armée impériale Russe, 1ère guerre mondiale, en attente de traitement.

Une fois les guerres finies il faut faire le ménage de ces machins dangereux à conserver sur le territoire… Les arsenaux sont remplis de bombes toutes neuves, pas question de garder ça sur les parkings d’usines qui vont être converties pour un usage civil ou des arsenaux qui vont fermer, dans des abris de stockage dans les ports militaires. Les allemands ont aussi laissé en 44 et 45 des cadeaux tous neufs à Brest, Saint Nazaire et partout ailleurs. En 1918 ce sont des stocks énormes de munitions de toutes sortes, y compris chimiques, qu’il a fallu dégager.

Très longtemps après les conflits, pareil !

Les machins qu’on croyait avoir bien planqués dans des souterrains, au fond des lacs, remontent sournoisement à la faveur d’une exploration par des adolescents curieux ou des touristes plongeurs en eau douce ou des pêcheurs au chalut. Vite il faut se débarrasser de tout ça.

Était-ce évitable ?

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Pétardement d'un dépôt sous marin de munitions, dans la Manche, large cap gris nez

Oui et non… Si on avait évité les conflits armés comme les deux ou trois derniers en Europe, oui. Mais c’est une autre histoire… Mais par contre s’en débarrasser comme par le passé en mettant tout ça à l’eau, on peut faire autrement. Cela éviterait ce qui s’est passé entre 1945 et 1948 : le service de déminage a retiré du sol 13 millions de mines, et 17 millions de bombes et obus ont été dégagés du sol et des terrains militaires et dépôts de munition. Ce travail a provoqué la mort de 500 français et 1800 prisonniers allemands. Paradoxalement d’ailleurs cela aurait coûté moins cher en vies humaines de balancer tout ça à la mer que de tenter de les désamorcer à terre. Depuis longtemps la France dispose d’un corps de « plongeurs – démineurs » qui font ce travail à terre et en mer, sur de nombreux terrains dans le monde, et sont encore régulièrement victimes de leur travail.

Il est de fait impossible de détruire à terre des stocks importants de munitions en raison des risques humains et environnementaux. Ils sont donc immergés au large. Comme quoi tout n’est pas possible, notamment l’application des conventions internationales.

Et les conventions internationales ?

La convention de Londres de 1972 interdit l’immersion des matières produites par la guerre bactériologique et chimique. Complétée en 1996 elle interdit toute immersion de munition. Depuis, la convention de Paris en 1993 interdit les armes chimiques et impose leur déclaration et des destruction. La France a retranscrit dans son droit interne la totalité de ces accords depuis 2006, mais se réserve la possibilité d’immerger des munitions en cas de risque grave si on tentait de les détruire à terre.

Les armes chimiques et bactériologiques

Obus à dispersion contenant des petites capsules de sarin

Obus à dispersion contenant des petites capsules de sarin

Elles posent un problème particulier en raison du risque d’intoxication si on tente de les désamorcer et ou de les pétarder (on fait un trou, on met tout dedans et on fait sauter, ça s’appelle un pétardement.  La production de ces munitions est interdite, mais il reste à terre et dans la mer des millions d’obus de la guerre de 14 – 18 dont on s’est débarrassé à l’époque. Ces munitions contiennent des mélanges chlore-phosgène, du bromure de benzyle, du phosgène, de l’acide cyanhydrique de l’ypérite, des arsines, des organo phosphorés comme le sarin, différents neuro-toxiques utilisés encore récemment dans la guerre Iran-Irak, puis par Saddam Hussein contre la population civile Kurde Irakienne. La destruction à terre des stocks existants et de ceux n’ayant pas fonctionné est très délicate. L’immersion en mer est bien tentante. Aucun responsable ne se risquera à mettre en danger ses hommes en travaillant avec des munitions chimiques dégradées par l’oxydation consécutive à un long stockage…

Combien de temps le danger existera-t il ?

Le mois dernier (Juillet 2010) à la Pointe Saint Matthieu, un groupe de touristes en promenade sur les rochers trouve un obus posé sur les algues. L’incroyable se produit : un petit malin met l’obus dans son sac à dos et la balade continue. Ensuite les versions sont un peu différentes, mais ils ont déposé le « butin » au sémaphore de la pointe ou au phare auprès des gardiens (de toute façon les deux sont automatisés depuis un bon moment( le phare est automatisé depuis 1996, et télécontrôlé depuis 2005, il n’est plus gardienné depuis février 2006.), s’ils ont trouvé quelqu’un c’est un coup de pot). Le Groupe des Plongeurs Démineurs de la Préfecture Maritime de Brest s’en est occupé. De toutes façon il ne faut JAMAIS tripoter ça… Ces promeneurs ont vraiment beaucoup de chance.

Périodiquement les pêcheurs remontent un engin dans leurs filets ou chaluts. Le 22/10/2008 le chalutier Dalc’h mat remonte un obus dans son chalut devant le port du Palais à Belle Île. Le patron fait tout cisailler, et chalut et bombes partent par le fond. Là aussi les plongeurs de la Marine Nationale écarteront l’obus du chalut, et utiliseront la technique dite de contre-minage consistant à le faire exploser par sympathie au moyen d’une charge explosive immergée. Le lendemain le Dalc’h mat récupèrera son chalut intact. Le 28/12/1919 le chalutier «La  Sole » remonte à 12 milles nautiques de Groix un fût d’ypérite (gaz moutarde) ; le contenu se répand sur le filet et le pont, brûlant gravement 7 hommes d’équipage. On voit que 90 ans plus tard des munitions fourmillent encore. Les travaux sous marins, pose de câbles électriques et télégraphiques, extraction de sable, extension des ports et autres creusements pour enrocher des piliers de pont n’ont pas fini de provoquer des accidents.

Et l’effet sur l’environnement, notamment des munitions chimiques ?

Munitions standards non chimiques

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Enfouissement de munitions Japonaises sur Guadalcanal pendant le conflit Japon USA

Bien que la preuve que les phénomènes constatés sur la biologie des poissons dans des zones à forte concentrations de munitions n’ait jamais pu être apportée provenaient de la dégradation des munitions, il existe de fortes présomptions de lien de cause à effet. Un vieil obus qui rouille au fond de l’eau peut mettre des années à libérer son contenu : fulminate de mercure de l’amorce, nitrotoluène, le nitrobenzène et le nitrophénol, et moindrement le nitroanisol et de nitronaphtaline, l’acide picrique de l’explosif, et quand ça se libère les composés se diluent dans l’eau sous forme de composés toxiques ou détonants… Mais la durée de cette dégradation peut être de quelques mois à de très nombreuses années en fonction de la nature des fonds entre autres. Enfoui sous un mètres de vase argileuse, donc à l’abri de l’oxygène, un obus peut rester intact des décennies. Un coup de la « charrue » du navire sablier chargé d’ »ensouiller » le câble, et voilà une demi tonne d’obus qui se retrouve en eau libre et peut s’oxyder beaucoup plus vite. Et comme la cartographie des dépôts sous marins de munitions est plus qu’aléatoire…

Munitions chimiques.

Quand il y a une ou deux bombes on peut les pétarder dans l’eau. Mais quand on traite un dépôt énorme, comme ceux présents en mer Baltique, on préfère ne pas trop toucher, trop dangereux, trop de risques de faire dégager des nuages toxiques…

La France est particulièrement concernée, tant pour posséder des dépôts sous marins que pour en avoir « fabriqué » en immergeant ses propres munitions qui ont passé la date limite d’utilisation, et ce par chalands à ouverture par le fond… mais bizarrement, la grande muette est frappée d’amnésie : en plus on se renvoie la balle entre la Marine Nationale, le Ministère de l’écologie, la Défense Nationale, il semble que personne ne sait où sont les archives et qui doit communiquer… Le patron de la  mission de l’action de l’État en mer indique : « Je crois qu’on a immergé massivement et souvent à proximité des côtes, mais on n’a aucune indication sur les quantités. » Pourquoi près des côtes ? Parce qu’aucun officier commandant le remorqueur d’une barge d’immersion n’est assez stupide pour naviguer loin des côtes avec un arsenal de bombes à bord ! En plus ils faisaient ça chaque semaine ou mois, c’était la routine. Les gens du métier se souviennent de l’explosion le 13 Août 1919 de la Julie et de la mort de ses 7 hommes, en mission d’immersion de 380 grenades désamorcées, 49 bombes AM, 3 tubes d’éclairement, des fusées et des détonateurs. Il semble possible que plusieurs éléments se soient entre-choqués sous l’eau après largage, et l’équipage de  leur remorqueur n’a pu rien faire qu’assister pétrifié à la pulvérisation de leurs camarades, et faire un rapport…

Il paraît aussi que les pays en voie de développement, la récolte des bombes soit assez fréquente pour pratiquer la pêche à l’explosif !

Voilà le petit tour est fait sur ce problème dont l’ampleur est peu connue.

Je suis parti de la revue « Le Marin » N° 3291 du 6 août 2010 http://www.lemarin.fr

Vous trouverez des informations complémentaires ici :

Les Munitions immergées

Les munitions chimiques

Les munitions non explosées

Les mines marines

La toxicité des munitions

Le métier et la formation de plongeur démineur de la Marine Nationale

La découverte d’un obus par des promeneurs

Si vous trouvez des erreurs ou des approximations excessives, signalez le moi!

4 commentaires

  1. Je ne vais plus à la pèche en mer des fois ou je remonterai une bombe!!

    Commentaire par Christian — 19 août 2010 @ 17 h 04 min

  2. Méfies toi il y en aussi dans les lacs en altitude, mais c’est vrai dans les Alpes. Dans les Pyrénées je ne sais pas, à moins que les républicains aient abandonné des munitions pendant la guerre civile!

    Commentaire par Le retraité — 19 août 2010 @ 18 h 29 min

  3. petite précision :
    les bataille du Jutland et de dogger bank sont des batailles navales de la 1re guerre mondiale, en suivant la logique du texte fort intéressant, on pourrait croire qu’elles sont de la deuxième…

    Commentaire par goliez serge — 13 septembre 2010 @ 10 h 07 min

  4. Effectivement, la bataille du Jutland, ou de Skagerrak pour les allemands a eu lieu le 31 mai et 1 er Juin 1916 en mer du nord, au large du Danemark. Elle a mené les allemands à privilégier la guerre sous marine, faute de suprématie en surface. Dans le texte ça pouvait prêter à confusion.

    Commentaire par Ayral — 13 septembre 2010 @ 16 h 46 min

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