J’ai passé une semaine complète à poncer et « relasurer » les volets de notre maison, comme on dit ici, ça faisait besoin. En gros 16 paires de volets. Ça occupe. Un travail pour lequel il était difficile de trouver une plage de temps suffisante quand j’étais en activité. Maintenant en gros je n’ai que ça à faire. Le problème c’est que autant ça me changeait les idées entre deux journées de cours ou pour un bref weekend, autant là, de façon surprenante, ça n’est plus drôle sur une semaine.
C’est d’ailleurs étonnant pour moi…
Toutes ces choses que j’avais mises de côté pour les faire « quand je serai à la retraite » n’ont pas gagné en urgence. Je sais que j’ai toujours été du genre procrastinateur, ne faisant pas aujourd’hui ce que quelqu’un d’autre ferait pour moi le lendemain. D’accord. J’ai aussi utilisé dans mon boulot cette tournure d’esprit consistant à tout faire au dernier moment, mais parce que je m’étais aperçu que le délai gagné me permettait de laisser fermenter le malt des boyaux de mon cerveau. Même que la fermentation permettait de sortir un meilleur produit, et que l’heure limite approchant le jus n’en était que meilleur. Une sorte de stress stimulant si vous voulez. Au dernier moment (souvent la nuit précédant un examen dont je devais inventer les sujets) il ne restait plus qu’à jeter tout ça sur le clavier du PC et à imprimer et photocopier.
Mais ce stress professionnel stimulant, je ne le retrouve plus maintenant, je n’arrive pas à l’appliquer à mes volets, à mes radis, au nettoyage du congélateur, au classement de ma paperasse familiale, en fait à pas grand chose. Serait ce que rien ne serait urgent ? Sans parler même d’urgence, rien ne serait indispensable à faire ? Non, bien sûr.
Cette retraite, dont beaucoup aimeraient profiter, tout de suite ou le plus tôt possible, je me rends compte maintenant que ce n’est pas nécessairement un long fleuve tranquille. C’est honteux et presque inavouable quand on sait que certains, pour des raisons de santé, la mériteraient d’urgence, d’avouer que globalement il m’arrive de m’emmerder. Mais bon, je ne suis pas le seul. Il m’a suffi d’y faire allusion au club informatique que j’anime avec Armand pour que, aussitôt, je me trouve moins seul. « Ooooh la retraite, vous en avez au moins pour deux ans à vous y faire !!! » Ah bon, personne ne m’avait prévenu.
Qu’est ce que c’est que cette histoire ?
Un mien cousin, A…, a pris sa retraite il y a un ou deux ans. Agriculteur, Président d’une CUMA (Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole), responsable à ce titre du déroulement des campagnes de récolte sur 600 hectares de cultures avec la moissonneuse de la Cuma, fanatique de l’enregistrement pointilleux du moindre kilo d’engrais ou de phyto sanitaire sur ses terres. Bref une pointure, un professionnel reconnu autant par ses pairs que par les vendeurs de matériels dans sa région, un homme surbooké et passionné. En plus discret, pas prétentieux,comme souvent les autodidactes, ne cherchant pas à imposer ses points de vue. Le voici donc disponible. Mais disponible pour quoi et pour qui ?
Eh bien il m’a raconté (tout en nuances bien sûr…) que quelque part c’était pas mal aussi avant. Que les concessionnaires de moissonneuse lui envoyaient les clients pour qu’il leur donne des conseils. Que tout le monde lui demandait son avis, ou s’en remettait à son jugement, quand il s’agissait de programmer une récolte, de régler un semoir, de planifier des traitements. Et que maintenant ils étaient toujours gentils et courtois tous ces gens là, ils venaient lui demander son avis, mais bon après ils en faisaient à leur tête, souvent le contraire. Et que ça le faisait « un peu râler », ce qui venant de lui, signifie qu’il est furieux, déçu, que ça le déprime.
Ça me rappelle que 2 mois avant de prendre ma retraite j’avais fignolé tous les paramétrages du réseau du lycée aux petits oignons pour que mon » non remplaçant » (le poste que j’occupais a été supprimé lors de mon départ) fonctionne comme sur des roulettes. Et que 15 jours après la rentrée une manœuvre sur le serveur a tout foutu en l’air et nécessité la réinstallation complète. Pas de réseau pédagogique pendant 15 jours, tout le système de console de clonage par réseau des postes clients disparu… J’avais pourtant dit au « non remplaçant » de ne toucher à rien parce que ce n’était pas son rôle et qu’il n’avait pas appris le job de gestionnaire de réseau (il avait fait un stage de 8 mois à L’Afpa sur la maintenance informatique matérielle). Un conseil qu’il avait recueilli avec ferveur.
Quant à mon toubib de famille, il m’a raconté que son papa, qui était « lignard » à EDF (réparation des lignes) et passionné par son métier et l’esprit d’équipe qui y régnait avait été déçu de constater qu’au bout de quelques semaines les visites à ses anciens collègues lui avaient fait comprendre que tout était bien passé, le travail comme la camaraderie, et il avait fait une bonne dépression d’un an…
Finalement, A… comme moi, on ne se résout pas au « après moi le déluge » - » nul n’est irremplaçable » – « le monde est rempli de gens indispensables » et j’en passe. Serait-ce de l’orgueil ? Finalement, c’était peut être gratifiant de se faire accueillir au travail par le reproche « y a plus internet » parce que je savais que normalement dans le quart d’heure on allait me dire « ah ça marche, comment on fera sans toi l’année prochaine ». Je me contentais de grommeler « On dit bonjour, avant de râler ! ».
Une vie professionnelle tenant lieu de vie sociale ?
Là ça commence à devenir limite comme analyse. Pourtant il faut bien avouer que la reconnaissance que nous apportait notre investissement dans la vie professionnelle, il faut la remplacer par d’autres plaisirs. Normalement, on fait bien son travail parce qu’on l’aime et qu’on a été élevé comme ça. Et ça devrait suffire… Mais bon, que les collègues le reconnaissent, c’est bien aussi ! De l’État, les fonctionnaires n’attendent pas de la reconnaissance, mais on apprécie celle de nos pairs. Je me permettrais même de penser qu’un nouveau retraité qui n’a pas eu un minimum de mal à quitter son travail, c’est qu’il ne s’y investissait pas, que c’était juste un moyen de se faire de l’argent, que finalement ça ne lui plaisait d’aucune façon.
Il faut alors admettre que la première tâche du retraité est de retravailler ses liens familiaux et sociaux, que peut être le temps du travail mercenaire avait fait reculer à la mauvaise priorité… en « tâche de fond » dirait un informaticien. Ça fera plaisir à ma Chérie qui voit bien que ça pourrait tourner plus rond. Et de rechercher des activités fondées sur d’autres motivations et d’autres satisfactions que l’argent et la vanité du regard des autres. Ou des activités fondées sur les mêmes motivations et satisfactions, mais ne provenant pas d’un travail obligé et auquel n’est pas attaché une obligation de résultat explicite.
Finalement j’ai travaillé 40 années pleines dans l’enseignement agricole. Ce fut une période passionnante, commencée donc en 1973 à 23 ans dans une période foisonnante de refondation du monde rural et agricole, de construction de l’enseignement agricole public pour en faire l’un des plus puissants d’Europe, toute une période où on a bâti des pédagogies innovantes faites au départ de bric et de broc, puis restructurées autour du concept de pédagogie par objectifs. Tout ça est en cours de détricotage par une administration qui voit bien que le nombre de jeunes à former au métier de paysan tend vers zéro ou pas loin; on voit les conséquences en terme de dotation en personnel… (sans parler de l’occupation du territoire). Et pourtant les périodes de crises, comme celle que vit en moment la profession paysanne, devraient être l’occasion de refonder le système pour le mettre en ordre de marche vers de nouveaux objectifs. Mais bon, j’ai rien dit… Ça se fera (ou pas) sans moi.
Tiens au fait, une psy »chose » m’a dit que je devrais écrire tout ça en détail et tout avec mon expérience vivante. Histoire de penser à autre chose qu’à la clope. J’écris beaucoup moins bien que ma sœurette, c’est elle qui devrait s’y mettre, à écrire! Son expérience de prof d’histoire – géo, peut être ? En plus elle a tout gardé, son bureau est tellement bourré de vieux documents qu’on ne peut même pas circuler dans la pièce, à ce qu’on dit, parce qu’elle ne fait pas visiter !
Salutations à mes quelques lecteurs (trices).
No comment !
Commentaire par youyou — 11 mai 2010 @ 18 h 33 min
Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables,donc je n’ai rien à y faire!
Nous attendrons que tu viennes à la maison(quand vous voudrez) pour nous expliquer de visu comment procéder,vu que nous n’avons pas le niveau pour comprendre le mode d’emploi.
Si tu es abonné à 1 bibliothèque, j’aimerais, si tu veux et as le temps que tu me donnes l’essence d’1 livre:Kafka sur le rivage
L’auteur est japonnais, je préfère t’avertir
Ta chérie n’est elle pas découragée par ce temps pourri? le jardin nous désole
Bisous à vous 3
Commentaire par Bori Mercedes — 12 mai 2010 @ 8 h 30 min
j’ aime l’expression:fermenter le malt des boyaux de votre cerveau.- vous n’avez pas le droit de faire une dépression,avec le talent que vous avez pour l’écriture, faites un livre ou, des documents facile pour les retraités qui veulent apprendre l’informatique en complément de vos cours je vous assure que vous serez le bien venu .par ce que parfois ont galère et le mot est faible A bientôt au club!
Commentaire par gisele dutreux — 12 mai 2010 @ 10 h 22 min
que de mots que de réflexions!!! moi (c’est Françoise qui écrit) qui envisage de prendre ma retraite dès que possible, à te lire, j’ai encore plus envie de partir. Pouvoir enfin faire ce qu’il me plait et quand ça me plait!!
Je sais, enfin je me doute que le boulot me manquera ainsi que les élèves et les collègues, mais si ça nous permet de nous retrouver plus souvent autour d’une table ce sera parfait.
Commentaire par Christian — 12 mai 2010 @ 10 h 44 min
mon poteau, tu es en train de nous faire une déprime …Fais gaffe car par expérience, je sais que les anti dépresseurs ne font pas bon ménage avec les spiritueux tels que aberlour, chivas, clan campbell j’en passe et des meilleurs et des plus tourbés !!! Réjouis toi de te trouver à la retraite en bonne santé moi qui te parle je signerais dès demain pour etre dans ta situation car d »après les rumeurs persistantes la retraite pour nous : c »est pas gagné!!!!
Commentaire par jean claude et bibi — 12 mai 2010 @ 17 h 47 min
@ Jean claude et bibi:
Quand j’écris que « Cette retraite, dont beaucoup aimeraient profiter, tout de suite ou le plus tôt possible, etc. » c’est à toi que je pensais… Je n’en suis pas encore à l’hexomil, je me bats. Écrire c’est un moyen comme un autre.
Commentaire par admin — 12 mai 2010 @ 23 h 21 min
@Mercédes:
Ma chérie me l’a trouvé à la bibli de Lavaur, je vais m’attaquer. Mais ça n’a rien à voir avec Kafka! Pour le reste je t’ai répondu en privé.
Commentaire par admin — 12 mai 2010 @ 23 h 25 min
Alain, je pense que un chic proff comme vous, va écrire une magnifique documentation sur la vie passer dans un college pas toujours facile,et surtout profiter de votre retraite, et nous les nouveaux élèves nous sommes la pour faire des fautes, et vous donner le sourire,
Commentaire par Tarbagayre thèrése,pierre — 13 mai 2010 @ 15 h 02 min
@ Thérèse et Pierre: voilà un commentaire qui me redonne la pêche, et me fait honte de me lamenter…
Commentaire par Le retraité — 15 mai 2010 @ 14 h 06 min
il y à vingt ans on m’avais dit, tu travaillera sur un ordinateur j’aurai dit non c’est impossible.
je ne pourrai jamais c’est appareil est trop compliqué pour moi,mais la curiosité à été plus forte et voila une chose qui commence à prendre un long chemin.
bonsoir à la prochaine fois.
Commentaire par Tarbagayre thèrése,pierre — 17 juin 2010 @ 14 h 05 min